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Mashauwomuk

Au commencement, il n’y avait que du blanc. Les glaciers couvraient la terre jusqu’à la mer. Mais le temps réchauffa la terre. Les glaciers s’enfuirent au nord. Et un beau jour, le soleil brilla sur la rive pour la première fois.


C’était la vie simple. Les petites vagues clapotaient contre les pierres de la rive, le soleil brillait à travers les feuilles, le calme régnait. De temps en temps, un animal passait, ou peut-être deux, ou peut-être une chasse entière. Ils y restaient pour boire ou manger, et ils repartaient. Les oiseaux pépiaient dans les arbres, la brise soufflait, la rivière serpentait vers la mer. Le calme régnait.



Mais petit à petit et puis tout d’un coup, un village s’installa à deux pas de la rive et remplaça le silence. La rive devint témoin du tout de l’humanité : de la joie des naissances, de la peine des morts, des rêves, des tribulations, des malheurs, des espoirs. Le jour, les hommes pêchaient et chassaient ; les femmes fourrageaient et cultivaient la terre ; les enfants jouaient au bord de l’eau. La nuit, ils mangeaient ensemble autour du feu tout le printemps, l’été, l’automne durant. Mais quand la rivière gelait et la neige couvrait la terre, l’obscuritéterrassa le village. Le feu brûlait d’une chaleur froide. Une maladie dévasta le village. Les villageoissouffrirent, ils moururent, ils pleurèrentles leurs. Mais cette saison de tristesse et de maladie ne pouvait accabler l’esprit du peuple. Même ces jours de nuits éternelles, ils chantaient. Ils chantaient la joie, ils chantaient l’amour. Et l’hiver passé et le soleil revenu, ils chantaient toujours.



Vinrent, une fin d’été, les nouveaux. Les différents. Les inconnus. Ces gens n’avaient jamais marché sur la rive ; leurs pas étaient lourds, maladroits. Ils ne savaient pas où mettre les pieds. Ce beau jour d’été, c’est là qu’ils hésitèrent, au bord de la rivière, pressés l’un contre l’autre, anxieux, mal à l’aise. Intrus.


Les enfants qui jouaient sur la rive les virent en premier ; la plupart allèrent se cacher, les courageux et les curieux restèrent. Les fermières cessèrent la récolte, les pécheurs revinrent à terre. Ils se rejoignirent en face des nouveaux, un mur vivant entre le village et les étrangers. Quelqu’un ouvrit la bouche ; un mot, deux mots, trente – ils ne se comprenaient pas, ils ne se faisaient pas confiance. Les anciens de la terre s’inquiétaient : ces nouveaux, étaient-ils gentils ? Méchants ? Voleurs ? Décents ? Seraient-ils un danger ?


Les étrangers s’installèrent à l’ouest du village, assez loin mais trop près. Les villageois chantaient moins ces jours-là. Ils avaient peur. Jour et nuit, ils surveillaient les collines de l’ouest et les océans de l’est ; à l’ouest de peur que les étrangers reviennent, à l’est de peur que d’autres ne les rejoignent.



Le premier mourut le jour où la dernière feuille tomba des arbres. D’autres le suivirent. Un par un, la nouvelle peste les ravagea. Ils ne chantaient plus. Partie la joie, parti l’amour. Les parents pleuraient la mort de leurs enfants, les orphelins celles de leurs mères et pères. Les quelques valides saines s’épuisaient à prendre soin des malades jusqu’au jour où eux aussi succombassent à la peste.


Les cieux matinaux étaient sombre et violents ; la neige tomberait bientôt. Mais les étrangers ne l’attendirent pas. Leurs horribles cris annoncèrent l’attaque. Armés de coups de tonnerre, ils sévirent les villageois, les abattirent avant que ces innocents ne s’échappassent. Et au coucher du soleil, quand le premier flocon de l’hiver toucha le sol et les derniers sanglots des villageois furent étouffés, les étrangers mirent feu au village. Tout brûla. La joie, l’amour, les rêves et les tribulations et les malheurs et les espoirs - brûlés. Le meilleur de l’humanité disparut en fumée alors que le feu consumât la terre. La fumée s’emmêla dans le papillonnement de la neige, et les cendres oppressèrent la rive. Cette première nuit d’hiver, à Mashauwomuk, il n’y avait plus que du blanc.

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