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Le Gros

Merde. Est-ce que c’est le gros ?


Je me pose cette question chaque fois que la terre se met à trembler. C’est la première fois que la réponse est « oui ».


Je ne peux plus penser. Non, c’est pas ça le problème. Je pense trop vite. Mille pensées me passent par la tête. Je suis paralysée pendant une seconde qui dure une éternité.

Heureusement que j’ai passé ma vie entière à me préparer. Je peux de nouveau bouger. Mes instincts s’engagent. Vite, je plonge sous une table je couvre ma tête et je commence à prier. À qui je prie ? Aucune idée. Au dieu qui m’écoutera.


Quinze secondes. Trente. Le temps s’arrête. J’ai les yeux bien fermés ; je ne vois rien, je ne veux rien voir. Mais j’entends ce terrible tonnerre, ce présage que la terre s’ouvrira et plongera ma belle ville sur la Baie en enfer. Est-ce que c’est trop tôt pour la pleurer ? L’histoire dirait que non. Mais l’histoire n’est pas le présent. Ici, maintenant, je sais que c’est la fin du monde.


Un silence soudain me sonne à l’oreille. Ce cauchemar est-il fini ? Non, le sol tremble toujours. Je reste sous ma table comme si c’était un de ces exercices de sécurité à l’école. Sûrement j’entendrais bientôt la voix d’une maîtresse qui me dira : « Bon, c’est assez. Sors de là-dessous. » Mais je suis toute seule. Il n’y a personne pour me dire que le danger est passé.


Alarmes. Une symphonie d’alarmes, de voitures et d’immeubles, indique la fin de ce séisme. C’est donc moi qui tremble toujours. J’ouvre les yeux. Enfin, j’essaie. Je ne réussis qu’au troisième coup.


Mon cœur essaye de s’échapper de mon corps. Mes jambes ne marchent plus. Mais je me lève. Il y a du verre de partout ; presque toutes les vitres sont brisées. Et les débris – mon beau vase, des bouteilles de vin, la vaisselle de porcelaine…rien n’a survécu. Mais j’y penserai plus tard. Je sors.

Je ne suis plus toute seule. Les voisins rejoignent les automobilistes qui descendent de leur voitures au milieu de la rue. Personne ne se tient sur ses jambes. Et personne ne parle. On écoute les alarmes, on regarde la fumée qui commence à couvrir la ville, on espère qu’il n’y aura pas de réplique, on en attend une quand-même.


Mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On a tous oublié.

— Eh ben, il était gros, celui-là, dit un voisin.

Oui, on est tous d’accord. C’était bien le gros. Celui qu’on attendait. Celui pour lequel on s’est tous préparés pendant des années. Finalement, on se souvient de ce qu’il faut faire. Vite, on cherche nos kits de survie, on inspecte les fondations. Une maison de l’autre côté de la rue commence à s’effondrer. Moi, j’ai de la chance : ma maison bleue accrochée à la colline reste debout.

Quelle faille a craqué ? San Andreas ou Hayward ? Il me faut des infos. Je trouve ma radio d’urgence caché au fond de mon kit de survie et je l’allume. Mais je suis distraite, je ne comprends que quelques phrases :

— …plusieurs maisons dans la Marina se sont écroulées. Évitez le quartier…

— …pas tout à fait comme 1989. Cette fois-ci, les ponts ont résisté au choc…


Je regarde les dégâts. Je devrais vraiment commencer à nettoyer. Mais d’abord, un petit cognac, ça ne me ferait pas mal.

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