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L'Oncle Zizi

L’oncle Zizi dort dans la vigne. Il s’est creusé un trou le soir de son retour, et depuis il dort dehors. Nuits claires et nuits orageuses, il dort dehors. On a essayé de le faire rentrer, on lui a offert un lit, mais sans succès. Il dort dehors.


Avant, il ne passait pas toutes ses nuits à l’extérieur. Il avait une chambre et un lit et des rêves. Il se préparait à partir pour l’université ; le premier de la famille, le prodige du village. Il deviendrait ingénieur et offrirait à sa famille présente et future une vie meilleure.


Mais un archiduc s’est fait tué.


Et le jour où il devait commencer l’université, il est arrivé dans les tranchées de la Marne.


Un matin quatre ans plus tard, on l’a retrouvé devant la porte de la maison. Il n’avait même pas cogné. Bien sûr, on était content de le voir. Mais l’homme qui nous est revenu était un fantôme, un écho de la personne qu’on connaissait avant la guerre.


On lui a demandé où il était allé, ce qu’il avait fait. Il ne répondait pas. Il ne parlait pas. Pendant un mois, on ne l’a pas entendu parler. Finalement, un rare midi qu’il mangeait en famille, il a dit quelque chose. En peu de mots, il nous a raconté qu’une fois, sa compagnie devait traverser un canal. Mais il ne savait pas nager et son bardas le lestait. Alors, ce canal, il l’a traversé en marchant,se bouchant lui nez d’une main et tenant son fusil hors de l’eau de l’autre.


Après ce midi-là, on a voulu connaître d’autres de ses histoires de guerre. Mais chaque fois qu’on le demandait quelque chose – n’importe quoi – il répondait avec son histoire de canal.


Rien d’autre.


On a arrêté de lui poser des questions. Maintenant, on le laisse seul à vivre sa vie comme il peut. Le jour, il travaille à l’usine ; le soir, il s’enivre au bar. Il revient tard la nuit, soûl comme un tonneau, et se couche dans son trou au milieu de la vigneen criant à haute voix : « vos vériz bein qu’yaura ïna outre de guârra ! »


Le dimanche il ne boit pas, il a promis à la mère. Puisqu’il ne parle pas de patois ces jours de messe, on sait qu’il la tient, sa promesse. Il disparaît au fond du jardin avec un cigare qu’il ne fume jamais. Si on tend bien l’oreille, on peut l’entendre chanter : « Refuse de peupler la terre ! »


Il ne le fumera jamais, ce cigare.

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